Registre des délibérations des consuls de Sommières [Arch. Comm. de Sommières BB3 / non folioté / ref.0013]
3 mai 1536
Enchères et bail des cloches de Sommières contre le mauvais temps
Au XVIe siècles, les cloches servaient depuis longtemps à sonner les heures, à appeler les fidèles aux offices religieux, à la prière, à sonner le glas pour un enterrement, à réunir le conseil politique mais on sait moins qu’on leur prêtait le pouvoir extraordinaire, avec l’aide de Dieu, d’éloigner le mauvais temps. Beaucoup d’entre elles portaient des inscriptions en latin, en français ou en patois local rappelant ce pouvoir avec des formulations à la première personne « Je loue Dieu, j’appelle les fidèles, le peuple, je pleure les morts, je repousse les orages, la grêle, les tempêtes, etc. ». Et cet instrument bruyant avait, avant l’apparition des sirènes, vocation à donner l’alerte pour tous types de danger, météorologiques ou mettant en péril la communauté comme lors d’incendies ou d’attaques ennemies. On sonnait alors le tocsin.
Ce document décrit précisément le protocole, les reponsabilités et les obligations autour de la fonction spécifique des sonneurs de cloches contre le mauvais temps. Il est instructif à plus d’un titre.
Entre civil et religieux
Sonner les cloches contre le mauvais temps était un emploi rémunéré à l’année, obtenu en remportant des enchères publiques et donnant lieu à un bail, contrat entre la communauté des habitants et le sonneur qui lui même devait nommer plusieurs autres sonneurs pour le suppléer. Le bail ne nous dit pas comment ces derniers étaient payés.
C’est bien à la communauté et non à l’Eglise que revenait cette gestion alors que la cloche utilisée était celle de l’église, en l’occurrence à Sommières, celle de St Pons. Bien que l’on en soit pas tout à fait certain, la communauté devait avoir sa propre cloche puisqu’elle avait une horloge, citée dans les délibérations consulaires dès le début du XVIe siècle. On peut supposer que seules les cloches sacrées étaient en mesure d’influer sur la météo et on sait que l’administration civile et religieuse étaient intimement liées à cette époque, la communauté ayant même l’ascendant sur les autorités ecclésiastiques locales.
La coutume
A Sommières, ces enchères avaient lieu le jour de la « fête de la croix », le 3 mai de chaque année [1]. Le protocole voulait que les consuls « comme il est de coutume » s’assoient sur un banc en bois (« de fuste ») sur la place publique. Il faut les imaginer avec leurs robe, chaperon et bonnet dans un cérémonial immuable codifié. Dans le texte, la mention « comme est de coutume » apparait huit fois car au-delà du bail détaillé entre les contractants, primait la coutume, c’est-à-dire ce qui était fait, de la même manière, depuis longtemps. Cette notion régissait toutes les exceptions aux contrats écrits.
Le « mandatari » (mandataire, valet) et trompette des consuls avait usé de son instrument et crié à haute voix à tous les carrefours « accoutumés » pour annoncer les enchères et recruter des postulants à la fonction de « sonnaïre » et plus précisément « d’escapolier ».
Escopolier, qu’ès aquo ?
La communauté cherche à recruter un « escapolier » pour sonner les cloches. Ce terme parait peu répandu et son sens ne saute pas aux yeux. L’occitan escapolar ou escapoula signifie ébaucher, dégrossir à la hâche, hâcher, trancher, ce qui ne semble pas avoir de lien avec la fonction de sonneur sauf à imaginer un super-héros combattant les éléments avec une arme surnaturelle.
Le scapulaire (dont l’origine latine signifie épaule) est un tissu en forme de tablier porté par certains moines. Il aurait pu inspirer l’appellation escapolier si ceux-ci portaient par tradition cet habit caractéristique, mais rien ne l’indique.
Escapoula a aussi comme traduction sauver, guérir, tirer d’affaire qui a donné scapolare en italien, délivrer en français. Cette étymologie parait plus plausible, elle est plus séduisante :
L’escapolier est celui qui met hors de danger la population.
Les enchères
Après plusieurs offres, les enchères « à la chandelle », débutées à 13 livres, sont remportées par Antoine CASTANET, le « moins disant » pour 10 livres. Il a choisi pour escapolier et pour l’aider à sonner les cloches Jacques FANYON, Loys GARIN, Bérenguier CHANAC, Jehan ASTIER dit El Rabas.
Le bail
Le bail est enregistré dix jour plus tard, à la maison consulaire.
fère sonner contre tout mauvès temps comme sont grourtz, trous, tronades, lyanses, mauvèses et follas auras, nebles sive brumes
Les escapoliers sont tenus de faire sonner les cloches par bon et mauvais temps. Le greffier avait débuté la rédaction de l’acte en bon français mais il se perd rapidement avec des mots de son patois quotidien dont il ne connait certainement pas la traduction. Il dérape ensuite souvent d’une langue à l’autre.
Traductions tirées du dictionnaire de Frédéric Mistral :
Grourtz = grêlons
Trous (ou trons, trouns) = coup de tonnerre, foudre
Tronades (trounadous) = Bruit de tonnerre, détonation
Lyanses (lancis) = jet de foudre, carreau de la foudre
Mauvèses et follas auras = vents mauvais et « fous »
neble = brume, brouillard
Les cloches devront être sonnées dès (« incontinent ») que le mauvais temps se lèvera et jusqu’à ce qu’il n’y ait plus aucun danger. Tous les jours à la nuit tombée, les sonneurs seront également tenus de sonner l’Ave Maria et un « trinion ».
Si le mauvais temps se lève pendant la nuit, les consuls devront fournir des chandelles de suif (« seu ») pour la lanterne. Les sonneurs ne pourront se décharger de leur fonction en temps de peste.
Les lourdes conséquences en cas de manquement
S’il est une clause du contrat qui fait réfléchir, c’est celle qui concerne les responsabilités des escapoliers dans le cas où « par leur faute, négligence, paresse ou autre » ils n’auraient pas sonner les cloches et n’auraient pu empêcher le mauvais temps de provoquer des dommages sur la ville notamment sur les « fruits pendants », futures récoltes du territoire.
Le bail stipule qu’alors ils seraient condamnés à payer tous les dégâts à tous les sinistrés sans aucun recours possible !
Sommières est connue pour être exposée aux débordements fréquents de la rivière de Vidourle. Gageons que les escapoliers n’étaient pas rendus responsables de l’absence d’intervention divine supposée éviter les catastrophes.
Une délibération peu détaillée et assez brouillon de 1532 évoque le même sujet [Document annexe]. Celle-ci précise de sonner contre les « pluies impétueuses ».
Notes
[1] Fête de la croix ou de l’invention de la vraie croix : célèbre la découverte de la supposée vraie croix du Christ par l’impératrice Héléna, mère de Constantin le 3 mai 386.
Illustration : Le sonneur de cloches, Eugène Leroux (Lithographie XIXe)
Transcription
Bailhement des campanes du clochier de l’esglise parroichielle de Sainct Pons de la ville de Sommières diocèse de Nismes de sonner contre le mauvès temps
L’an mil cinq cens trante six et le mecredi tiers jourt du moys de may dans la ville de Sommières et place publicque d’icelle heure de mydi au davant la court rouyalle d’icelle ville par devant honorables homes Guilhaumes BLAQUIERE, Jehan DE MONS et Anthoine AYMAR consulz de l’année présente dudit Sommières assiz tous troys sus un banc de fuste comme est de coustume Loys DE VIC dict Pouqoux leur mandatari et trompète après avoyr crié à aulte voix et sonner trompe par mandement desdists consulz par les quare fours acoustumés de ladite (ville) qui vouldroict prandre à sonner les cloches et campanes comme est de coustume contre le mauvès temps que s’en vienhe la mesmes incontinent à ladite place que se delièvreront au moin disent à la chandelle anonssant ledit DE VIC de là à ladite place crié à son de trompe et aulte voix qui voudra prandre à sonner comme dit est lesdites campanes que s’en vince? qu’elles estoyent à XIII livres tournois sur Bérenguier CHANAC dudit Sommières, Jehan PICARD les a myses à XII livres mens V sols tournois Anthoine CASTANET est venu et les a mises à XI livres mens V sols tournois, Phelip LOBIE les a mises à XI livres tournois, ledit CASTANET les a mises à X livres tournois et personne n’y a plus dit et pour ce, sont demeurés audit CASTANET à X livres tournois. A esté dit et arresté que ledit CASTANET eslira et prandra et présentera gens pour sonner lesdites campanes souffisans a près vespres pour passer le contrault et en après ledit CASTANET a dit qu’il avoyt prins et esleus pour escapoliés et luy ayder à sonner lesdites cloches Jacques FANYON, Loys GARIN, Bérenguier CHANAC, Jehan ASTIÉ dit El Rabas habitans dudit Sommières offrant de passer le contrault et fère comme est de coustume.
Et en après, l’an susdit et le XIIIIe du moys de may scachent tous etc. que ès présences des tesmoings et moy notaire etc. existentz et personnellement constitués lesdits BLAQUIERE, DE MONS, AYMAR et Pierre GOUYON consulz lesquels en ensuyvant la delibération de leur conseilh de leur bon gré au nom de la comunauté et université dudit Sommières par leur bonne de foy ont bailhé et délivré ausdits CASTANET, FANYON, GUARIN, CHANAC et ASTIER, escapolieés sive sonayres, présentz et acceptans etc. a scavoyr est / à sonner / les campanes au bon temps et contre le mauvès temps comme est de coustume pour le temps et espase de ung an révolut acommensant le jour de la croys de may darrier passée et finissant semblable jour l’an complet et ce moyenant le pris de dix livres tournois à lesquelles X livres tournois sont demeurés audit CASTANET comme darrier sursalhant et moins disant à la chandelle estainte poyables comme est de coustume une avec les pactes et condictions que s’ensuyvent. Et premièrement que lesdits escapoliés et sonaires seront tenus et derront sonner ou fère sonner contre tout mauvès temps comme sont grourtz, trous, tronades, lyanses, mauvèses et follas auras, nebles sive brumes incontinent que le mauvès temps se lèvera et lo veyran ai seran advertis et tendran de sonar jusques que ledit mauvès temps sera espassat et n’y aura point de dangier. Item avec pacte que seront tenus lesdits escapoliés comme est de coustume sonner ou fère sonner tous les jours à la nuict l’eure acoutumée l’Avé Marie et ung trinion comme ont faict les aultres années précédentes Item est de pacte que si le cas avient que si lève aucun mauvès temps devers la nuict et falhe sonnar lequel lo temps, seran tengutz losdits sonayres demandar et losdits mossiers les sconsulz leur bailhar ou far bailha de candellas de seu en la lanterne per tenir de l’ung au cloquié a veser sonar comme est de coustume aux despens de ladite ville.
Item est de pacte que lesdits escapoliés sive sonayres durant ledit an seront tenus bien et deuement sonar et fère leur devoyr tant en temps sain que en temps de peste si à venir Dieu que nous en garde.
Item est de pacte que si le cas avenoyt que par leur faulte, négligence, pérèse ou aultre moyen leur mauvès temps tombesso et fesso dammaige à ladite ville, possessions de aquelle est princypalloment les fruictz pendens en lesdites poss(ess)ions, seront tenus lesdits escapoliés et sonayres satisfayre et paya lo dammaiges et interestz a seulx qui apartiendra sans aucune contradiction.
Item est de pacte que lesdits sonayres seront tenus sonner la nuyct de la velhe de sainct Jehan Baptiste pour fère les aultres sonnades acoustumées à fère par les escapoliés et sonayres tout ainsi qu’est de coustume fère par lesdits escapoliés tous les ans, lesquels pactes dessus expeciffiées et aultres causes en yceulx expéciffiées lesdites parties ont tous approuvés etc. et promis tenir, servir, complir et contre non contrenvenir et pour ce fère etc. lesdits consulz les biens de ladite communauté et université dudit Sommières et lesdits escapoliés et sonayres tous ensemble et ung chescung d’eulx ung pour l’autre et l’autre pour le tout leurs personnes propres et tous et chescuns leurs biens n’ont obligé etc. aux forces et rigueurs des courtz rouyalles de Sommières, conventions de Nismes et à une chescune d’icelles et ainsi l’ont juré etc. renonciant etc. Faict dans la maison consulère de ladite ville ès présences de Pierre GEBELIN dit Castel de Sommières, Bernard RODANEL de Sinsans, Jehan SOBEYRAN appothicaire, valet dudit consul DE MONS et de moy V. PORTAL notaire rouyal soubzsigné etc.
Document annexe
Registre des délibérations des consuls de Sommières [Arch. Comm. de Sommières BB2 / non folioté / ref.0247]
3 mai 1532
Délibération sur les sonnaïres
Des sonayres de campanes
Le jour feste de la saincte cros ters jor de may à l’Avé Marie de matin devant Messieurs les consulz
Les premiers conseillers
Les segons
Les tiers, TREMOLET absent appelle en personne de sa fame
Les quarts
Monsieur le consul a dit comment il avoys mandé le conseilh pour ce que on (fait) de bailler les campanes avoyt arrender sive bailler les campanes
Es estat dit que on les delivrasse au moins disant ainsi qu’est de costume et qu’ils soyent tenus de sonner contre les tempestes, tonayres, malvayses aures et aussi contre les pluoges impétioses et malvayses et ainsi qu’ilz en seront requis pas les consulz et qu’ilz soyent payés par quartiés / Et furent délivrés à Jehan RAMEL, Loys GUIRAUD, Mossiers Raymond FRANC, Guillaumes FRANC et Jaumet FANGON à dix livres X sols tournois ainsi que a esté permis
2 commentaires à - 1536 Sonnez, sonnez, l’escapolier
Passionnant, avec ces registres on est dans la vie Sommièroise, je ferais paraitre le texte sur la cloche de l’horloge qui remplace celle de l’église (BB23) avec la signification des sonneries. J’ai aussi relevé des documents intéressants sur les horloges de la ville.
Merci à vous M. Pagès pour tout le travail de mémoire que vous faites sur cette très sympathique petite ville de Sommières. Les délibérations consulaires sont effet une grande source d’inspiration pour raconter la petite histoire. Les cloches en sont tout un symbole.